terça-feira, janeiro 13, 2009

A visão de um intelectual árabe

Gaza : la trahison des clercs

par Mezri Haddad
Bien plus que le spectacle tragique des enfants déchiquetés et des familles décimées, c'est le mutisme, en France, des archanges de la liberté et des droits de l'homme qui est incompréhensible et insupportable.
On les a vus se mobiliser pour les Tchétchènes ou pour les Bosniaques - ce qui est bien louable -, mais pourquoi se taisent-ils sur le massacre quotidien de populations civiles palestiniennes ? Pourquoi ne dénoncent-ils pas, avec la même ardeur humaniste et la même prise de conscience, les actes criminels de l'armée israélienne à Gaza ?
Les centaines morts, pour la plupart des civils, et les milliers de blessés sont-ils des êtres inférieurs ou n'appartiennent-ils pas à cette humanité si chère aux universalistes, pour que la campagne de punition collective dont ils sont victimes aujourd'hui soit traitée avec autant d'indifférence ? Et, plus graves que l'omerta, les propos scandaleux de certains pharisiens qui établissent une responsabilité symétrique des coupables et des victimes, de ceux qui tuent et de ceux qui décèdent par centaines.
Celui qui pose ces questions n'est pas un prosélyte des causes intégristes, ni un zélote de l'activisme terroriste, ni un ignoble consommateur du poison antisémite.
Contre ces trois nécroses mortelles qui rongent certains de mes coreligionnaires et qui sont si contraires à l'islam, je me suis battu en prenant des risques. Chaque fois que les circonstances l'ont exigé, je n'ai pas hésité à blâmer les miens, au nom de ce que je prenais pour des valeurs universelles, au nom d'une coexistence pacifique entre Israéliens et Palestiniens, au nom d'une fraternisation entre juifs et musulmans. J'ai dénoncé l'imposture démocratique qui a hissé le Hamas à la tête de Gaza. Je craignais pour le déjà agonisant processus de paix, je redoutais le choc des civilisations, j'appréhendais le totalitarisme théocratique que devaient subir les habitants de Gaza en les isolant du reste du monde.
Le Hamas n'a pas eu le temps de transformer Gaza en enfer. Israël et l'Egypte, avec la complicité active des Etats-Unis, ont précipité ce funeste destin. Durant deux longues années, comme les Irakiens avant la chute de Saddam Hussein, 1,5 million de Palestiniens ont été mis en quarantaine. Gaza est devenue une "prison à ciel ouvert", reconnaissait Stéphane Hessel.
Aucune chance n'a été donnée aux dirigeants du Hamas de négocier avec l'"ennemi" qui les avait jadis et naguère soutenus contre le Fatah, à l'instar de l'administration américaine dans son appui à Ben Laden contre l'URSS ! A l'époque, les stratèges d'Israël et les "terroristes" du Hamas s'entendaient si bien pour isoler Yasser Arafat, l'humilier et le dépouiller de tous les attributs du pouvoir ! Les attentats-suicides du Hamas avaient payé. Israël a ainsi renforcé la légitimité martyrologique du Hamas en brisant la légitimité historique d'Arafat, double fiasco qui a conduit à l'apothéose électorale de l'organisation islamiste. Et Israël a continué avec l'héritier sans héritage qu'est devenu Mahmoud Abbas.
L'unique compromis qu'Israël, sous l'insistance de l'Egypte, a fini par concéder, c'est la signature d'une trêve de six mois avec le Hamas, en contrepartie d'une levée bien contrôlée du blocus. Même à dose homéopathique, l'étau de ce blocus n'a jamais été desserré. Beaucoup moins pour alléger le calvaire des Gazaouis que pour entretenir leur image de protecteurs de la veuve et de l'orphelin et de résistants inflexibles à "l'entité sioniste", les maximalistes du Hamas ont fini par commettre l'irréparable : la rupture de la trêve le 18 décembre.
Est-ce une raison suffisante pour Israël de se lancer dans cette impitoyable guerre punitive à l'encontre de toute une population prise en otage par ses propres dirigeants ? On sait ce que vaut la vie d'un homme ou d'un enfant dans l'idéologie sacrificielle du Hamas. Mais comment les dirigeants israéliens peuvent-ils considérer la vie de ces enfants avec le même dédain ?
Selon Montesquieu, "le droit des gens est naturellement fondé sur ce principe que les diverses nations doivent se faire, dans la paix, le plus de bien, et, dans la guerre, le moins de mal qu'il est possible". En temps de paix, Israël a imposé à la population de Gaza un blocus cruel et inhumain ; en temps de guerre, la puissante armée de ce pays n'hésite pas à tuer cinquante civils pour atteindre un combattant du Hamas. Autrement dit, éliminer les combattants du Hamas pour ce qu'ils font, et tuer les habitants de Gaza pour ce qu'ils sont. Est-ce cela, l'équité et la moralité ?
N'en déplaise à André Glucksmann, il y a bien eu disproportion entre l'erreur commise et le châtiment infligé. Aligner une armada militaire des plus sophistiquées et massacrer en douze jours plus de sept cents Palestiniens parce que le Hamas a lancé quelques roquettes bricolées qui ont fait quatre blessés et quelques dégâts matériels, cela s'appelle bien disproportion et démesure. L'hybris (démesure) est fille de Némésis (vengeance), et "la démesure, en mûrissant, produit le fruit de l'erreur et la moisson qui en lève n'est faite que de larmes", écrivait Eschyle.
Rien ne peut justifier un tel déchaînement qui ne laisse derrière lui que ruines, désolation, haine et candidats aux suicides. Ni les raisons bassement électoralistes en Israël ni les manoeuvres vaguement tactiques pour tester la discontinuité éventuelle ou la continuité probable de la future administration américaine dans sa gestion du conflit israélo-palestinien. Quant à la légende du petit David contre le méchant Goliath, elle est désuète et anachronique. Car même si plusieurs innocents civils ont été atteints par les abominable attentats-suicides, il y a bien longtemps que la sécurité d'Israël n'est plus menacée. Et pour cause, en termes de puissance militaire et de dissuasion nucléaire, Israël peut rayer de la carte qui il veut et quand il veut.
Ce n'est pas aimer Israël que de lui "souffleter l'imprudent patriotisme", comme disait Zola. Aimer Israël, c'est, à l'instar d'Hannah Arendt hier, de Tzvetan Todorov, de Gideon Levy et de tant d'intellectuels israéliens aujourd'hui, lui "dire la vérité, même si ça coûte. Surtout si ça coûte", comme disait Hubert Beuve-Méry, fondateur et directeur du Monde.
Aimer cet Etat né après l'innommable Holocauste, c'est le mettre en garde de l'ivresse de la puissance et de l'impunité. "Israël a toujours gagné les guerres et perdu les paix", disait l'illustre Raymond Aron. Il ne s'est pas trompé : avec celui qui lui a assuré tant de guerres, Itzhak Rabin, Israël a failli gagner la paix. On l'a assassiné et avec sa disparition, l'espoir d'une paix durable s'est évaporé. Mais tôt ou tard, lorsque les armes vont se taire et que cessera de couler le sang des Palestiniens, avec ou contre la volonté de Dieu, le destin du peuple hébreu croisera à nouveau la volonté d'un prophète.
Mezri Haddad est écrivain et philosophe tunisien

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